Gustav Mesmer au art & marges musée

mesmer_06

Demain, je pars à Paris, pour une semaine.

L’Art Fair 2017, le Grand Palais, la Maison rouge, le Centre Georges-Pompidou, la Fondation Louis Vuitton, … je compte bien en prendre plein la vue.

Toujours mieux. Toujours plus. C’est l’ère des expositions-spectacles, des scénographies immersives, des décors spectaculaires. Les institutions culturelles se mènent une compétition sauvage. Il faut créer la surprise, se différencier pour séduire un public toujours plus large.

Donc, oui, évidemment que je vais en avoir plein les yeux !

Mais avant de partir, je voudrais vous parler d’un lieu, d’une exposition et d’un artiste aux antipodes de cette surenchère.

Jusqu’au 11 juin 2017, le art & marges musée de la Rue Haute à 1000 Bruxelles accueille les oeuvres de Gustav Mesmer (1903 – 1994).

Alors, je vous le dis tout de suite, ne vous attendez pas à une surabondance d’effets et de moyens. Vous n’en prendrez pas plein la vue… mais plein le coeur. Et ça c’est rare !

Gustav Mesmer est né en 1903, dans un petit village du Sud de l’Allemagne. Une maladie de la gorge le force à quitter l’école très jeune. Plus tard, il veut devenir novice. Il passe six ans dans un monastère fransiscain qu’il quitte prématurément, avant de prononcer ses voeux. Sa vie bascule le jour où il « décide » d’interrompre une eucharistie en hurlant « Non, ce n’est pas le sang du Christ ! ». Sa famille, honteuse, le fait interner. Et comme « qui cherche trouve », on lui diagnostique une schizophrénie à progression lente. Il passera les trente prochaines années de sa vie en institutions psychiatriques.

Gustav Mesmer vit mal l’isolement et la solitude (tu m’étonnes). « Je tuais l’ennui et la souffrance avec de petites occupations, en tirant des cailloux, ou en fabriquant quelque chose avec des branches ou des herbes. » Pour survivre, il se rattache à un rêve : concevoir et construire une machine volante. Il utilise tout ce qui lui tombe sous la main : des emballages, des morceaux de tapis, des mouchoirs, … tout est bon pour lui permettre de s’évader. Le dessin est son échappatoire.

« Un ange clair et lumineux est venu
Du ciel vers le groupe d’aliénés
Et a apporté à ta crèche
Des ailes pour voler vers la liberté,
par-dessus la clôture »

Gustav Mesmer écrit aussi, beaucoup. De la prose, de la poésie. Il se crée un monde fantasmagorique qui lui permet d’échapper à la morne réalité ; de franchir les murs de l’institution… en pensées du moins.

Deuxième grand tournant dans la vie de Gustav Mesmer : à 61 ans, il est transféré dans un hospice pour personnes âgées souffrant de maladies mentales et de retard intellectuel.

Là, il renaît. La liberté, enfin ! Il se retrouve responsable d’un atelier de vannerie. Il y construira ses premières machines volantes, fabriquées à partir de matériaux de récupération. Des constructions grandeur nature qu’il teste personnellement, les unes après les autres. Sur les chemins de campagne de la vallée du Lautertal, il s’élance courageusement, affublé d’un casque de protection, d’une cuirasse et de chaussures à ressorts « home made ».

Il attire ainsi l’attention des habitants, des promeneurs puis des journalistes et des photographes. Mais qui est donc ce doudingue qui s’élance vaillamment sur un vélo harnaché de deux paires d’ailes ? Et c’est ainsi que, de fil en aiguille, presque par hasard, certaines de ses créations se retrouvèrent exposées dans le pavillon allemand de l’exposition universelle de Séville en 1994.

Pourtant, Gustav Mesmer ne se considéra jamais comme un artiste. Il se disait chercheur, technicien, inventeur. Son travail était de construire un vélo volant. Ni plus, ni moins.

C’est cette (belle) histoire que nous raconte avec simplicité et délicatesse le art & marges musée. Celle d’un excentrique, d’un marginal à l’imagination débridée. Celle d’un utopiste, patient et obstiné, prêt à tout pour réaliser son rêve de liberté.

Sur deux étages, des machines, des accessoires, des dessins, des croquis, des aquarelles, des photographies, un film, … le tout en provenance de la Gustav Mesmer Stiftung. Une fondation qui, pour la petite histoire, a été créée à l’initiative de Stefan Hartmaier qui rencontra Gustav Mesmer alors qu’il n’était encore qu’un enfant, un petit garçon subjugué par l’Icare de Lautertal.

Alors, bien entendu, on pense à Leonardo Da Vinci et à ses croquis de machine volante. On pense au mythe d’Icare. On pense à l’Homme-oiseau de la civilisation Nazca. On pense à Phèdre dans lequel Platon écrit « les ailes ont la force de soulever le corps au-dessus de la terre et de le conduire là où se tient la race des Dieux ».

Gustav Mesmer, lui, ne pensait à rien d’autre qu’à créer. Son art, il le pratiquait spontanément, librement, sans se soucier du passé ou des normes en vigueur. Alors, s’il vous plaît, arrêtons de comparer son oeuvre à celle de Panamarenko. C’est le jour et la nuit !

« Il met de la magie mine de rien, dans tout ce qu’il fait. Il a le sourire facile, même pour les imbéciles (…) » Il était libre Gustav Mesmer. Libre dans sa tête. J’aurais aimé terminer cette note en vous disant que, oui, « il y en a même qui l’ont vu voler ».

Hélas, ses machines n’ont jamais quitté le sol. Mais une chose est certaine, c’est qu’il arriva, grâce à son art, à transcender le monde ordinaire et à s’élever bien au-delà des murs de son institution.

Et à ceux et celles qui grimacent, je répéterai ces mots de Robert Walser, entendus dans le très joli reportage dédié à Gustav Mesmer et projeté au premier étage du musée : « Comme ils n’ont aucune pitié pour eux-mêmes, les gens normaux n’ont aucune pitié pour les autres. Ils sont tellement morts qu’ils ne s’attendent qu’à rencontrer des morts. »

Gustav Mesmer était vivant. Et lumineux. De cette lumière vive qui ne peut s’échapper que des failles et des fêlures.

Un artiste touchant à découvrir, en toute simplicité et jusqu’au 11 juin 2017, au art & marges musée.

Gustav Mesmer, L’Icare de Lautertal
au art & marges musée
Rue Haute 314
1000 Bruxelles
http://www.artetmarges.be
https://www.facebook.com/artetmarges/?fref=ts

La Fondation Gustav Mesmer
http://www.gustavmesmer.de/stiftung.html

A voir également :
Exposition « Un autre monde »
au Museum Dr. Guislain Gent
http://www.museumdrguislain.be/fr
https://www.facebook.com/museumdrguislain/?fref=ts

A lire également :
Du nombril au cosmos
Atomik Bazar
Adolf Wölfli et Baudouin de Jaer
Bruno Decharme

gustave_mesmer_1

gustave_mesmer_3

gustave_mesmer_5

gustave_mesmer_4

gustave_mesmer_6

gustave_mesmer_8.jpg