
Bruno Decharme porte bien son nom.
Oui, je sais, cette considération personnelle n’apporte pas grand chose à l’histoire de l’art mais c’était plus fort que moi.
Je l’ai rencontré il y a plusieurs mois, au Art & Marges Musée, dans le cadre de la très belle exposition Du nombril au cosmos.
Enfin « je »… « nous »… puisque nous devions être une vingtaine à participer à la visite guidée donnée par Bruno Decharme et Barbara Safarova (présidente de la collection art brut connaissance & diffusion).
Car oui, c’est bien d’Art Brut dont il s’agit.
Mais pourquoi en parler maintenant, six mois plus tard ? Parce que Bruno Decharme et Barbara Safarova m’ont communiqué le virus. Parce que le soir même, j’ai réservé un vol Bruxelles – Genève pour découvrir de mes yeux la fameuse Collection de l’Art Brut de Lausanne. Et parce que je décolle bientôt.
Bruno Decharme est collectionneur. Milieu des années 70, bien avant que le marché de l’art ne s’intéresse à l’Art Brut, il achète ses premières oeuvres. Son tout premier achat ? Un petit dessin d’Adolf Wölfli vendu au prix d’une carte postale. Aujourd’hui, sa collection compte 4000 oeuvres de 400 créateurs différents. Et c’est son association créée en 1999, abdc – art brut connaissance & diffusion (dont Barbara Safarova est la présidente), qui se charge de sa gestion et de sa diffusion auprès du public.
Bruno Decharme n’est pas « que » collectionneur. Après des études en philosophie, il travaille dans le cinéma. Il devient l’assistant de Jacques Tati (ah oui, quand même) puis cinéaste. Un métier qu’il met au profit de sa passion en réalisant / produisant de nombreux documentaires consacrés à l’Art Brut : « J’ai choisi une vie en contre-jour, derrière la caméra, derrière les artistes, derrière les oeuvres que je collectionne ».
C’est ce qui m’a sidéré chez Bruno Decharme : son humilité et sa simplicité. Le gars débarque à la visite guidée tout cool, en baskets / jogging. Bien loin de l’image que je me faisais d’un des collectionneurs les plus puissants au monde. Il parle vrai. Il est direct et désarmant de sincérité. Brut, comme l’art qui le passionne.
Bruno Decharme est un homme d’instinct. Il dit lui-même ne se fier qu’à son oeil et « aux vibrations de son diaphragme face à une oeuvre ». Pourquoi l’Art Brut ? Allez savoir : « C’est comme demander à quelqu’un pourquoi il est tombé amoureux ». Il raconte « avoir attrapé le virus » suite à l’exposition de la collection d’Art Brut de Jean Dubuffet au Musée des Arts Décoratifs de Paris en 1967. Charnière également : sa rencontre avec Michel Thévoz, professeur de philo et directeur (à l’époque) de la collection de l’Art Brut à Lausanne. CQFD.
Bruno Decharme se qualifie, avec beaucoup d’humour et d’auto-dérision, de « monomaniaque » : « J’envie les collectionneurs aux goûts éclectiques et ouverts ». Impulsif et passionné, il lui est arrivé de vendre son appartement pour acquérir des pièces d’Art Brut. Et d’ajouter : « Mais je ne m’endetterai jamais pour un Fontana ou un Basquiat que néanmoins j’adore ».
Mais qu’est ce qui rend l’Art Brut à ce point envoûtant ? Spiritualité, dimension mystique, instance supérieure, voyage mental, état de conscience modifiée, force invisible, vision géniale, (re)construction du monde, chaos, magie, constructions complexes, cartographie mentale, cosmogonie, art médiumnique, archaïsme magique, traversée du miroir, sujets universels, créateurs autodidactes, pulsion vitale, force créative, inaliénabilité de l’être, … « L’Art Brut nous révèle les méandres complexes et paradoxaux de l’inconscient » (…) « Il nous oblige à repenser notre rapport au monde » (…) « Il nous ouvre les portes de l’invisible ».
Pour qualifier son rapport à l’Art Brut, Bruno Decharme utilise souvent les termes « amour fou », « emprise », « virus », « coup de foudre », … Et c’est ce qui ressort de lui lorsque, face à vous, il parle de l’Art Brut et de ses créateurs. Ceux qu’il connait, il en parle avec tendresse et respect. « On ne peut pas mentir avec les artistes d’Art Brut, ils savent quand il y a de l’amour » (…) « On est dans l’intelligence du rapport humain ». Il a un petit côté paternel aussi Bruno Decharme. En même temps, je comprends qu’il faille protéger les artistes d’Art Brut (souvent fragiles et marginalisés) de l’engouement du marché de l’Art. Rappelons tout de même que les oeuvres d’Art Brut s’arrachent aujourd’hui à des prix d’or.
L’intention des créateurs d’Art Brut n’est pas de gagner de l’argent. Ni de produire de l’art d’ailleurs. Leur objectif n’est pas non plus de créer du « beau ». Ils créent par urgence. Cette même urgence qui a poussé Bruno Decharme à consacrer la moitié de sa vie à l’Art Brut. Celle-là même qui me fait m’envoler pour Genève d’ici quelques jours (…)
Art & Marges Musée
ART BRUT – Collection abdc
Entretien avec Bruno Decharme
Collection de l’Art brut Lausanne
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