Je crois en l’invisible.

Est-ce une condition sine qua non pour apprécier la Collection de l’Art Brut ? Oui. Enfin non. Sans doute doit-il y avoir plusieurs niveaux de lecture.

La Collection de l’Art Brut est installée dans le Château de Beaulieu, à Lausanne.

Les pièces de la Collection permanente sont regroupées par auteur. Chaque auteur est présenté sous la forme d’une biographie succincte, illustrée par une photo en noir et blanc.

Que faire ? Lire la bio puis découvrir les productions. Ou l’inverse ? D’instinct, je vais d’emblée vers les portraits.

Moi qui venais à Lausanne pour voir de l’Art Brut, me voilà face à des hommes et à des femmes au destin tragique et hors norme. « Les créations d’Art Brut sont indissociables de leurs auteurs », disait Bruno Decharme.

Pas de diagnostics, juste des histoires. Alors vous lisez et puis vous levez les yeux et découvrez les travaux. A chaque fois, c’est un choc ! Visuel et émotionnel. C’est comme si l’histoire prenait forme, se matérialisait. Comme si l’âme des auteurs était là, cartographiée, griffonnée, dessinée, sculptée, tressée.

Et plus vous avancez dans la découverte, plus vous êtes troublé par les similitudes entre ces différentes histoires. Beaucoup de ces créateurs ont perdu un parent assez jeunes. Beaucoup ont eu une enfance solitaire et difficile. Beaucoup ont reçu une instruction rudimentaire. Beaucoup ont eu une vie normale jusqu’à ce qu’un événement déclencheur (mort, rupture, exode, maladie, guerre …) fasse office de point de rupture. Beaucoup utilisent des supports improbables comme des enveloppes, des serviettes en papier, des factures, des tickets, des papiers d’emballage, les murs des cellules ou les sols des cours d’hôpitaux. Beaucoup travaillent avec du matériel de fortune : un caillou, un manche de cuillère, de la corde, de la ficelle, des crayons de couleur, du bois, du fil de fer, des couvercles de boites de conserve, des coquillages, des stylos billes, des mines de plomb, du vernis à ongle, de la teinture pour cheveux, … Beaucoup pratiquent le spiritisme. Beaucoup disent entendre des voix ou avoir des visions. Beaucoup prétendent être animés par une force invisible. Beaucoup travaillent rapidement, sans esquisse ni plan. Beaucoup soutiennent ne pas être l’auteur de leurs travaux.

TOUS sont autodidactes. TOUS sont étrangers aux milieux artistiques. TOUS créent librement sans se soucier des normes ou du jugement d’autrui. TOUS créent dans le secret, l’anonymat et l’isolement.

Qu’on croit ou pas à l’invisible, on ne peut rester indifférent à l‘inquiétante étrangeté de l’Art Brut.

D’autant plus que tout est fait, sur place, pour accentuer le côté oppressant. La salle d’exposition est noire, du sol au plafond. Pas de fenêtre, ni d’ouverture. Le visiteur est plongé dans une semi obscurité, nécessaire à la conservation des productions. Le silence est pesant… altéré, ici et là, par un bruit sourd, à peine audible (que je ne suis jamais parvenue à identifier d’ailleurs). Une scénographie sobre et subtile qui rappelle le climat dans lequel les productions ont été réalisées.

Ce que propose la Collection de l’Art Brut de Lausanne ? Un parcours initiatique dont on ressort transformé. Un huit-clos intense et troublant.

Il y a tant de choses à écrire encore. Sur Dubuffet, le découvreur, le collectionneur, le théoricien de l’art. Sur sa donation à la ville de Lausanne. Sur l’évolution de la Collection. Sur les expositions temporaires (dont l’actuelle organisée pour le quarantième anniversaire de la Collection). Sur les créateurs d’Art Brut, d’hier et d’aujourd’hui. Sur les écrits d’Art Brut.

Mais chaque chose en son temps. L’Art Brut, ça n’est pas de l’Art Fast Food. Celui qui « entertaine ». Celui qu’on va voir après le boulot pour se divertir et briller sur les réseaux sociaux. L’Art Brut, ça bouleverse, ça engloutit, ça irradie, ça plombe, ça questionne, ça fragilise.

Alors oui, je vous raconterai tout cela. Mais plus tard. Un peu plus tard.

Collection de l’Art Brut
11, av. des Bergières
CH – 1004 Lausanne
Tél. +41 21 315 25 70

Site officiel
Fan page