On a tous une part d’ombre.
Et on a tous la liberté soit de lui faire face, soit de faire comme si elle n’existait pas.
Personnellement, j’ai choisi la première option.
Et j’aime les artistes qui extériorisent la leur pour mieux nous faire explorer la nôtre.
Bref, j’ai aimé Mater Museum.
J’y suis restée deux heures. Seule, en parfaite résonance avec l’univers (inquiétant pour certains) de Vincent Glowinski et Agnès Debize.
Et NON, à aucun moment, je ne m’y suis sentie mal à l’aise ou oppressée.
Au contraire, je me suis sentie appelée / happée par ce monde fantasmagorique. Pas bienveillant, non, je n’irais pas jusque-là. Mais enveloppant.
Effervescent aussi. Une impression de mouvement, semblable à celle qui se dégage des fresques de Bonom. Son araignée, son vieillard, sa femme se caressant. Ils sont vivants !
Et bien, les créatures du Mater Museum, c’est pareil !
Mais je m’emballe (comme d’habitude). Reprenons depuis le début.
Au début, il y eut Bonom. Un performer masqué vêtu de noir… Ah ben oui ! C’est évident qu’il y a une filiation entre les deux personnages. Rien que le pseudonyme. Zorro signifie « renard » en espagnol. Et que signifie Bonom ? Hein ? Hein ? Singe ! Enfin si on inverse les lettres : mono. Et qu’on y ajoute le B de Bonomo. Et Batman, quelqu’un y a pensé à Batman ? L’homme chauve-souris ! Bref.
Bonom est donc un héros légendaire qui opère masqué (dans le sens de « incognito »), la nuit, sans autorisation, en équilibre au-dessus du sol. Tous les bruxellois connaissent ses fresques monumentales.
En 2010, l’artiste est pris en flagrant délit et condamné à des travaux d’intérêt général. On découvre alors sa véritable identité : Vincent Glowinski.
En 2014, l’ISELP lui consacre une exposition : Bonom, le singe Boiteux.
Entre ces deux dates, nait la collaboration avec le centre culturel de la Communauté française de Belgique. En 2012, Vincent Glowinski y expose pour la première fois l’un de ses squelettes géants, dans le cadre des Nuits. Le Botanique fait également appel à l’artiste pour réinventer les murs de sa rotonde. La végétation colorée de Vincent Glowinski s’étendra deux ans plus tard à l’ensemble des serres. Grâce à lui, l’ancien jardin des plantes reprend vie.
A ce propos, est-ce moi où un ptérodactyle se cache-t-il dans cette foisonnante végétation ? Vous voyez où je veux en venir n’est-ce pas ? LE ptérodactyle de l’affiche ! Celle qui annonce Mater Museum. Un symbole fort puisque c’est ce même ptérodactyle que Bonom représenta sur sa dernière fresque, rue de Flandre. Celui-là même qu’il choisi pour annoncer la naissance de sa fille en 2014, Saskia Gabriella Glowinski.
Avec Mater Museum, la bibliothèque du Botanique se transforme en machine à remonter le temps. Quoique… Les ossements, les fossiles, les formes primitives, tout ça fait-il vraiment référence au passé ? Ou sommes-nous plutôt dans un futur fantasmé où tout ce qu’il resterait de l’Homme serait un unique squelette humain. Une sorte de patriarche archétypal. J’aime bien aussi l’idée « d’archéologie intérieure ».
Rien n’est laissé au hasard, tout est mis en scène dans Mater Museum. Une mise en scène à quatre mains puisque Vincent Glowinski y expose aux côtés de sa mère, Agnès Debize, elle aussi artiste.
« Je ne suis plus capable de dessiner les pattes griffues d’un oiseau sans que cela ne ressemble aux dessins de ma mère » peut-on lire à l’entrée de l’exposition. Mater Museum est clairement introspectif et explore les liens de filiation qu’il peut y avoir entre un fils et sa mère (artistes de surcroît). Des liens ambigus et complexes. « Je ne parle pas de tout ce qui sort des mains de ma mère et qui envahit le quotidien, frappe les yeux à tout instant et en chaque lieu de la maison. De la lampe à la table, jusque sur la bibliothèque, partout poussent des museaux et des branches, et s’imprime dans ma tête une peuplade de formes et de créatures. »
Je ne sais pas pourquoi Mater Museum m’a autant parlé. Peut-être parce que, moi aussi, j’ai un père artiste à l’oeuvre « totale et envahissante ». Peut-être parce que, moi aussi, je sais à quel point la perte de l’un des deux parents peut provoquer comme une urgence. Dans le cas de Vincent Glowinski, l’urgence de présenter le travail de sa mère tel qu’il le voit, et en collaboration avec elle. Sans oublier la quête de sens, intimement liée à la mort.
En 2014, un journaliste interviewe Vincent Glowinski et se lance maladroitement dans un « on sent un peu d’angoisse dans vos dessins… non… euh, je me trompe ? ». Et l’artiste, amusé, de répondre : « L’avantage, c’est de pouvoir les mettre sur les murs, ça permet de les avoir un peu moins en soi. » Il y a de ça, je trouve, dans Mater Museum.
Aujourd’hui, les artistes qui prennent des risques sont de plus en plus rares. Bonom en prenait. Vincent Glowinski en prend également. Avec Mater Museum, il se met à nu et explore la figure maternelle (mais aussi le sexe féminin et la question des genres) par le biais d’une mise en scène immersive, brutale et troublante.
Il sculpte le cuir parchemin, elle travaille le gré et la terre cuite. A eux deux, ils explorent brillamment les mystères de la filiation, de la transmission et de la création artistique.
Mater Museum
A voir, au Botanique, jusqu’au 17 avril
Site web : http://botanique.be/fr/expo/vincent-glowinski-mater-museum
Fan page Facebook : https://www.facebook.com/events/1680552768881672/
Interview (RTBF) : http://www.rtbf.be/musiq3/article_vincent-glowinsky-mater-museum?id=9223342
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