Cercueils personnalisés du Ghana

Verbeke Foundation, cercueil figuratif "Aigle", Kane Kwei et Pass Joe
Verbeke Foundation, cercueil figuratif « Aigle », Kane Kwei et Pass Joe

Connaissez-vous Philippe Claudel ? Avez-vous lu son dernier roman « L’arbre du pays Toraja » ?

Alors qu’il traverse le pays Toraja en Indonésie, l’auteur y découvre un arbre particulier : « Remarquable et majestueux, il se dresse dans la forêt à quelques centaines de mètres en contrebas des maisons. C’est une sépulture réservée aux très jeunes enfants venant à mourir au cours des premiers mois. Une cavité est sculptée à même le tronc d’arbre. On y dépose le petit mort emmailloté dans un linceul. On ferme la tombe ligneuse par un entrelacs de branchages et de tissus. Au fil des ans, lentement, la chair de l’arbre se referme, gardant le corps de l’enfant dans son grand corps à lui, sous son écorce ressoudée. Alors peu à peu commence le voyage qui le fait monter vers les cieux, au rythme patient de la croissance de l’arbre. »

Et d’ajouter : « Nous enterrons nos morts. Nous les brûlons aussi. Jamais nous n’aurions songé à les confier aux arbres. Pourtant nous ne manquons ni de forêts ni d’imaginaire. Mais nos croyances sont devenues creuses et sans écho. Nous perpétuons des rituels que la plupart d’entre nous seraient bien en peine d’expliquer. Dans notre monde, nous gommons désormais les présence de la mort. Les Toraja en font le point focal du leur. Qui donc est dans le vrai ? »

C’est à  L’arbre du pays Toraja de Philippe Claudel que j’ai pensé en voyant, pour la première fois, un cercueil figuratif. On dit aussi « cercueil personnalisé » ou « de fantaisie », « fantastique », « sculpté », « imagé », « proverbial », …

Les cercueils du Ghana ont été montrés pour la première fois au public occidental lors d’une exposition légendaire organisée au Centre Pompidou et à la Grande halle de la Villette : Magiciens de la terre (du 18 mai au 14 août 1989). Du jamais vu : les artistes exposés proviennent de tous les continents, et non plus uniquement d’Europe ou d’Amérique du Nord ! Parmi eux, Kane Kwei (1922 – 1992) et son assistant Paa Joe (1947 – ) avec 7 cercueils personnalisés.

Au Ghana, ces cercueils « sur mesure » ou « sur commande » sont intiment liés aux croyances religieuses. Une fois décédé, le mort ne disparait pas mais continue à vivre dans un autre monde où il conserverait son statut social et son métier. Il pourrait par ailleurs continuer à influencer ses proches vivants. D’où l’importance d’honorer le défunt avant son départ, d’organiser des funérailles prestigieuses et de s’assurer qu’il ait une place de choix dans l’au-delà.

Le défunt est enterré comme il a vécu. On trouve ainsi des cercueils en forme d’appareil photo, de téléphone, de cygne, de canon militaire, de bouteille de coq, de poivron, de projecteur de cinéma, de chaussure de sport, de piano, de clé de mécanicien, de ballerine, …

En fait, cette pratique est récente et date des années 50. C’est Kane Kwei (de l’ethnie des Ga, 4ème groupe ethnique du pays) qui en serait l’inventeur. C’est en tous cas grâce à lui que les cercueils-sarcophages du Ghana furent rendus célèbres à l’étranger. Aujourd’hui on parle même « d’art des cercueils de fantaisie » et les commandes destinées au marché de l’art (pour des musées, des galeries ou des collectionneurs privés) affluent.

Les principaux ateliers de confection de « Abebuu adekai » (« boites à proverbes » en langage Ga) se situent aujourd’hui à Teshie dans la région du Grand Accra, au sud du Ghana.

Mais revenons au point de départ : l’aigle exposé à la Verbeke Foundation. Ce motif est particulier car il fait référence au Dieu Sakumo et est réservé à l’élite politique. Il ne peut donc pas être choisi par le commun des mortels. Idem pour le lion, le crabe ou le coq, animaux mythiques réservés aux chefs de clan. Cette sculpture a été faite sur commande pour la fondation, en 2009. Au total, Verbeke Foundation possède dix cercueils personnalisés du Ghana, dont deux datent des années soixante.

Autre « retour au point de départ » : la découverte, en préparant cette note, de Ataa Oko Addo, un créateur ghanéen de cercueils personnalisés devenu à 83 ans… artiste peintre d’Art Brut !

Et voilà que je repense à Philipe Claudel et à son Arbre du pays Toraja : « J’ai depuis longtemps compris que nous ne faisons pas des films, mais qu’ils naissent de nous et se dessinent comme ils l’entendent, au moment qu’ils ont choisi. »

Plus d’infos :
Ghanacoffin.com
Facebook.com/GhanaCoffin

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