Léa Belooussovitch, l’ineffable

L’art, c’est un peu comme une rencontre amoureuse.

Quand on aime l’art, on passe son temps dans les musées, les galeries, sur Internet. On croise des œuvres, on en croise plein. Des oeuvres que l’on trouve belles mais qui nous laissent indifférentes. D’autres que l’on trouvent moins belles et qui, pourtant, nous touchent.

Qu’il s’agisse d’une œuvre ou d’une personne, ce n’est pas tant l’esthétique qui est déterminante au final. C’est l’émotion. L’émotion qu’une œuvre, qu’une personne nous fait ressentir.

Et puis, bien entendu, au-delà de ça, il y a la dimension inconsciente.

J’ai lu un jour que ce qu’on allait chercher chez l’autre, c’était soi-même. Avec l’art, c’est pareil.

Bref, tout ça pour vous dire que lors de l’exposition YOUNG BELGIUM à La Patinoire Royale, je n’ai vu qu’elle. L’œuvre de Léa BELOOUSSOVITCH : Perp Walk (Blanket), 2019, 173 x 142 cm.

J’y ai vu une femme voilée. J’y ai vu une burqa. J’y ai vu l’injustice, la soumission, l’inégalité. J’y ai vu MA colère.

Cette œuvre fait partie d’un projet plus global : Perp Walk.

Le Perp Walk, c’est l’abréviation de perpetrator walk, littéralement « marche de celui qui a perpétré [le crime] ». Il s’agit d’une pratique policière courante aux Etats-Unis qui consiste à faire parader en public (de préférence dans une position humiliante, genre menottes aux poignets) un suspect arrêté et ce, même s’il est présumé innocent.

Ce que j’ai pris pour une jeune femme afghane était en fait un suspect à la sortie du tribunal, livré en pâture aux médias.

En réalité, je me rends compte que ce n’est pas tant le sujet de l’œuvre qui m’a à ce point séduite. C’est son support. C’est l’ensemble : le fond ET la forme.

Qu’il s’agisse d’une femme voilée ou d’un suspect au visage caché, ce qui fait la différence, c’est le fait que cette image ait été imprimée sur un tapis de velours marbré.

Le velours, c’est la douceur, la sensualité, la chaleur. Une étoffe qui rassure, qui symbolise la noblesse et le prestige.

Et c’est ça qui est génial dans la démarche de Léa BELOOUSSOVITCH. Imprimer une image violente, dégradante sur une matière veloutée qui inspire tout le contraire.

L’émotion provoquée chez celui qui regarde est du coup intense, complexe et ambigüe.  

Cette démarche, on la retrouve dans une autre série de Léa BELOOUSSOVITCH, également exposée à La Patinoire Royale. Cette fois, l’artiste dessine aux crayons de couleur sur du feutre. Plus exactement, elle reproduit des photographies existantes.

Les images originales proviennent des médias, d’Internet. Elles ont toutes, comme point commun, d’être liées à des faits d’actualité dramatiques et de représenter des victimes blessées et vulnérables.

Léa BELOOUSSOVITCH épluche la presse et sélectionne avec minutie certaines de ces images violentes. Elle les recadre et les réinterprète au crayon sur une toile de feutre blanc.

Les traits de crayon sur le feutre donnent à l’ensemble un effet duveteux, vaporeux. La violence est comme mise à distance, atténuée par ce voile poudreux. La matière (devenue enveloppante et chaude au contact du crayon) adoucit la cruauté, la floute, la rend supportable.

« Du net au flou. Du pixel au pigment. »

Seul le titre de l’œuvre reste ancré dans le réel : Houla, Syrie, 25 mai 2012Maroua, Cameroun, 22 juillet 2015Lahore, Pakistan, 27 mars 2016 – … La ville, le pays et la date de l’événement.

C’est juste génial ! Et quelle maturité pour une jeune femme de trente et un ans.

Léa BELOOUSSOVITCH fut donc mon coup de cœur de ce premier opus INEFFABLE. Plus qu’un coup de cœur, on peut carrément parler d’un coup de foudre.

Parce qu’au final, l’art et l’amour ne sont pas si éloignés l’un de l’autre (…)

YOUNG BELGIUM
Jeune scène contemporaine
OPUS 1 : INEFFABLE
Du 13 décembre 2020 au 27 février 2021
A La Patinoire Royale
La Patinoire Royale – Galerie Valérie Bach

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