Rencontre avec Martine Canneel

Avec Martine Canneel, dans le foyer du Delta de Namur. Photo : Patrick Spapen

J’ai aimé Martine Canneel avant même de la rencontrer.

Pas l’artiste, non. La femme.

Cette femme qui, dans les années 50, prend le contre pied de ce que la société attend d’elle et entame des études de fusain à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles. Alors que son rôle devrait se résumer aux seuls faits d’être une bonne épouse, une bonne mère et une bonne ménagère, la jeune adulte poursuit des études en horticulture et architecture de jardin à Versailles. Elle perfectionne ensuite sa formation à la Sorbonne, puis à la Cambre, d’où elle est diplômée avec mention.

Hélas, malgré son talent et ses compétences, celle qui se destinait à une carrière d’architecte de jardin voit les portes se fermer les unes après les autres. “Elle est trop féminine pour faire ce métier, voyons !”. Comme toutes les femmes de sa génération, sa place est auprès de ses enfants.

J’aime cette femme (épouse et mère de deux enfants) qui, malgré la pression sociétale, choisit l’art comme alternative à son besoin de créer et de s’exprimer.

Dans les années soixante, Martine Canneel est séduite par les nouveaux matériaux industriels que sont le plexiglas, la résine et le néon. Dans la mouvance pop, elle crée des sculptures colorées et lumineuses. Des cadres aussi, en écho aux assemblages surréalistes de l’artiste américain Joseph Cornell. Dans tous les cas, il s’agit de véritables constructions architecturées qui révèlent sa grande maîtrise des lignes et des formes.

La lumière vient d’ailleurs, 1969. Plexiglas, tubes fluorescents, boule. 45 x 45 x 30 cm
No Comment, 1974. Miroirs et figurines
Ô Ubi Campi ? Ô, où sont les champs ? 1971. Bois, miroirs, plexiglas, tubes néons, figurine

On y retrouve également sa passion viscérale pour la lumière. Depuis toute jeune, Martine Canneel a par ailleurs un don pour les couleurs. Ca lui vient de sa famille. Elle est née avec ça. Tout comme les six générations de peintres et d’architectes qui l’ont précédée.

J’aime Martine Canneel, la “femme arc-en ciel”.

Mais attention, il serait naïf de s’arrêter à ce qui brille. Moi même, séduite par ces oeuvres ludiques et lumineuses, je suis passée à côté de l’essentiel. C’est Isabelle de Longrée, responsable des Arts Plastiques au Delta qui attira mon attention sur des petits objets symboliques placés ici et là : une fleur, une sphère, un animal en plastique, un petit jouet industriel, …

Martine Canneel est militante et utilise l’art pour faire passer son message et partager ses convictions. De manière subtile et intelligente. Son cheval de bataille ? La cause écologique. Très jeune, sur les traces de son père, elle se passionne pour les arbres, les plantes et les animaux. Une passion qui se renforcera dès 1950, date à laquelle la famille quitte la Belgique pour le Congo belge. Elle a quatorze ans. A partir de là, son amour de la nature n’aura de cesse de grandir.

Alors, oui, l’urgence environnementale, on connaît bien aujourd’hui. On manifeste pour la planète. On mange local. Sauf que là, on est début des années soixante. Et dites-vous bien qu’à l’époque, le climat, la nature, les animaux, l’alimentation bio tout ça, on n’en a pas grand chose à faire.

J’aime Martine Canneel, la précurseure.

En 1982, tournant dans la vie de l’artiste. La famille part s’installer à Sydney, en Australie. D’emblée, Martine est séduite par la lumière, la végétation, les grands espaces, la diversité animale et l’énergie qui se dégage de la ville et des gens.

Sur place, guidée par l’enseignement du Dalai-Lama, elle approfondit sa pratique du Bouddhisme et entame une quête spirituelle.

Petit à petit, elle délaisse les matériaux industriels au profit de ce que lui offre la nature: le bois, les pierres, les débris végétaux, les coquillages, les écorces, …

Apparaissent les premiers Lingam, objets de méditation composés d’éléments composites glanés dans la nature, compressés, fusionnés et longuement polis.

En parallèle, son travail du cellophane se complexifie et se fait écho de la pensée bouddhiste.

Sans titre (lingam), 2012. Bois, coquillages et autres matériaux organiques

J’aime la femme spirituelle en quête d’harmonie. Celle qui, après une initiation de plusieurs années, devient nonne bouddhiste et entre au monastère. Tout en ne cessant jamais de créer.

Mais ce que j’aime par dessus tout, c’est cette femme d’action qui décide fin des années 90 de concevoir sa propre maison, en adéquation avec ce qui l’anime. Baptisée “Au soleil du grand Est”, la maison mandala de Martine Canneel est à la fois un accomplissement bouddhiste et artistique. Son oeuvre ultime.

Maquette et photos de la maison d’Eudlo, Australie. Photo : Patrick Spapen

J’ai aimé Martine Canneel dès que je l’ai entrevue, dans le foyer du Delta. Petite, menue, d’apparence fragile. Mais tellement belle et lumineuse. Elle semblait presque gênée d’être là. Farouche au début. Puis joueuse et espiègle au fil de temps. On dit d’elle (et de son oeuvre) qu’elle est “clair/obscur”. J’ai perçu cela aussi, subrepticement. C’était son anniversaire. Elle fêtait ses 85 ans. Dont soixante dédiées à l’art et à la création.

Elle la mérite tellement cette rétrospective. Bravo au Delta et à Isabelle Longrée, la responsable des Arts Plastiques de la Province de Namur. Encore une femme merveilleuse.

Décidément, ce 19 mars 2021 était une bien belle journée, riche en rencontres et en découvertes.

Interview de Martine Canneel dans le cadre de l’exposition “Martine Canneel – Au Soleil du grand Est”

Du 20.03.21 au 01.08.21 au Delta, Espace Culturel de la Province de Namur

Plus d’infos sur: https://www.ledelta.be et https://www.facebook.com/ledeltanamur

Avec Isabelle Longrée, responsable des Arts Plastiques de la Province de Namur. Photo : Patrick Spapen
Le Delta, Namur
Le Delta, Namur

Un commentaire Ajouter un commentaire

  1. Messaoudene serge dit :

    Encore un bien bel article.
    Merci de nous faire partager votre coup de coeur.
    Une sortie à programmer dès que possible.
    Merci.

    J’aime

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