« Tout est beaucoup plus complexe qu’il n’y parait » (entretien avec Hélène Poncin dans le cadre de l’exposition Miss Métonymie & Co, avril 2014)
Pour moi, cette phrase résume parfaitement l’œuvre de Stéphanie Jacques. Une œuvre complexe, riche et singulière.
Les mauvaise langues diront : « Oui, enfin, c’est de la vannerie quoi ! »
Mais c’est justement ça qui est génial : à l’aide d’une technique traditionnelle, Stéphanie Jacques crée un univers d’une modernité redoutable. Elle transcende un savoir-faire ancestral et le réinvente, le modernise.
Et puis, il n’y a pas que la vannerie. L’œuvre de Stéphanie Jacques est polymorphe : travail du bois, tressage de l’osier / de la corde / de la laine / du fil de cuivre / de la chambre à air, tricot, broderie, photographie, vidéo, gravures, … L’artiste belge taille, tresse, manipule, assemble, enduit, coud, découpe, dessine, monte, danse, …
Mais quoi qu’elle fasse, il y a toujours ses ancrages personnels.
La transparence par exemple. Stéphanie Jacques construit autour d’un espace vide. Elle crée des contenants ouverts, troués qui, même enduits de plâtre, laissent passer la lumière.
Le jeu d’ombre aussi. Délicat et fragile, aussi important que l’œuvre en tant que telle. Il symbolise la part d’ombre, l’inconscient, l’immatériel, l’éphémère, l’invisible, l’indicible, … Chacun y verra ce qu’il veut y voir.
L’espace enfin que ses sculptures occupent du sol au plafond… posées, accrochées, suspendues. Là aussi, les vides coexistent aux pleins.
Il y a une suite logique dans le parcours de Stéphanie Jacques. Diplômée en Histoire de l’Art, elle expérimente d’abord la broderie, la danse et la photographie. Suit la sculpture du bois avec des œuvres pleines et fermées. Puis l’apprentissage auprès d’artisans des techniques de vannerie et l’exploration du tressage de matériaux souples. Ses premières créations, creuses et ouvertes, ont une forme organique. A force de contorsions et de retournements, la robe apparaît, aérienne. Suivie par les silhouettes humaines en équilibre grâce à un mystérieux « organe » posé au sol. Des œuvres qui passeront ensuite de la contemplation à l’action par le biais d’installations vidéos. Ce n’est plus l’objet mais la relation à l’objet qui compte.
En plus d’être riche, polymorphe et logique, l’œuvre de Stéphanie Jacques est introspective. La robe par exemple. Et le corps. Une obsession qui est intimement liée à son histoire personnelle. Adolescente, elle souffre d’une scoliose et doit porter un corset. Opérée de la colonne vertébrale, redressée à l’aide de broches, la jeune femme sera longtemps limitée dans ses mouvements et dans ses choix vestimentaires.
Le trou, omniprésent. Il vient d’une fascination de l’artiste pour les trous laissés par les branches tombées. « Lorsqu’une branche casse, l’arbre essaie toujours de cicatriser ses blessures. Il produit une substance toxique qui protège le pourtour contre les bactéries. Sur les bords de la blessure se forme un bourrelet semblable à une cicatrice. » Le cal cicatriciel. Une trace condamnée à suivre l’arbre jusqu’à sa mort.
La bouteille de Klein aussi, récurrente dans ses dernières œuvres. Une bouteille que Lacan disait « divine » et dont l’intérieur se confond avec l’extérieur. Une figure géométrique dont la particularité est de n’avoir ni dedans, ni dehors. Il symbolise l’éternel recommencement. Il me rappelle le mythe de l’Ouroboros, symbole des alchimistes : « Un serpent peut-il de dévorer lui-même ? »
Introspective mais aussi paradoxale (et donc énigmatique). A la fois traditionnelle et ultra moderne ; poétique et sauvage ; légère et massive ; lumineuse et sombre ; naïve et tortueuse ; brute et sophistiquée.
Les moteurs de Stéphanie Jacques ? Les émotions, les manques et les impossibilités. Ses références artistiques ? Louise Bourgeois, Nick Cave et Etienne Martin.
« Si je fais de la sculpture, c’est que j’ai envie d’exprimer quelque chose que je n’arrive pas à dire avec des mots. »
Une artiste d’exception à découvrir jusqu’au 26 mars à la Maison des Artistes d’Anderlecht.
Retournement en cours
Stéphanie Jacques
Maison des Artistes
Rue du Bronze, 14
1070 Bruxelles
Fan page : https://www.facebook.com/stephanie.jacques.16503?fref=ts
Site officiel : http://www.stephanie-jacques.net