
Etrangement, cette note a été compliquée à écrire.
C’est pourtant de mon père dont il s’agit. Et j’ai déjà écrit sur lui dans le passé.
Mais ici, c’est particulier. Tout d’abord, parce qu’il est question d’une rétrospective posthume. Au M HKA, l’un des plus importants musées d’art de Belgique. Et, parce que celle-ci retrace une partie de la vie de mon père qui date d’avant ma naissance et dont j’ai peu discuté avec lui.
Retour en arrière. Nous sommes en pleine période post-soixante-huitarde. Quatre jeunes intellectuels créent à Louvain un collectif, le Mass Moving. Leurs actions militantes s’adressent au tout public. Leur objectif : faire bouger les masses et changer la société.
Les interventions éphémères se succèdent. Toutes traitent de problématiques sociétales encore d’actualité aujourd’hui : la mobilité, la biodiversité, l’environnement, les énergies douces, la préservation de la nature, …
Leur portée est internationale : Louvain, Namur, Utrecht, Venise (dans le cadre de la Biennale), Kassel (pour la Documenta), la Sibérie, le Cameroun ou encore l’Himalaya.
Autre spécificité du Mass Moving, dans l’esprit réfractaire de mai 68, le rejet des musées et des galeries. Les actions sauvages ont lieu dans la rue… proche des gens et loin du monde établi de l’art.
A la tête de ce collectif d’artistes : mon père. On a beau répéter qu’il n’y avait pas de hiérarchie à l’époque, je connais suffisamment bien mon père pour vous dire qu’il l’a pris le lead… et férocement. « Sans ton père, les rêves utopistes seraient restés dans les cafés », me disait récemment Barbara, sa compagne. Et je pense qu’elle a raison.
Mass Moving durera huit ans, ce qui est exceptionnellement long pour un collectif d’artistes. Il sera dissout le 5 janvier 1976 par un autodafé spectaculaire, suite à des conflits d’autorité et de pouvoir. Mon père est alors dans le grand Nord avec quatre autres Mass Movers afin de placer le dernier maillon du Sound Stream. C’est à lui qu’est adressé le télégramme de rupture.
Les machines, archives, dessins, photos, films, diaporamas, affiches, tout a été brulé. Allons, allons, les personnes à l’initiative de cet acte radical étaient bien trop malignes que pour faire une chose pareille. Disons plutôt qu’ils sont stockés précieusement quelque part, et qu’ils réapparaitront un jour, comme par miracle.
Mass Moving est mort. Vive le Mass and Individual Moving.
Un mois après la dissolution du Mass Moving, mon père publie le 9 février 1976 (jour de ses 44 ans) un manifeste annonçant la création du Mass And Individual Moving. A ses côtés, cinq personnes dont quelques anciens du Mass Moving : Luc Schuiten, Frans Weyler, Barbara Hahn, Claire Lamy et Johan Opstaele. Cette fois, on ne parle plus de collectif mais plutôt d’association.
Bien entendu le Mass And Individual Moving s’inscrit dans la continuité du Mass Moving, de par l’importance accordée à la rue. Mon père donne toutefois au mouvement une orientation radicalement différente. En effet, alors que le Mass Moving mêlait la performance, le happening, l’art, la politique et le social, le Mass And Individual Moving se recentre plus sur la démarche artistique.
La rétrospective « Mass (an Individual) Moving » organisée par le Musée d’art contemporain d’Anvers porte sur ces deux mouvements.
La salle circulaire au rez de chaussée du M HKA a, pour l’occasion, été scindée en deux. Une première moitié fait référence au Mass Moving et présente différentes actions comme « Society in Conflict » (1970), le mensuel « Il fera beau demain », le LEM, Butterfly project (1972), Human Incubation (1973), Pure Water Reserve (1973), Solar Station (1974), Sound Stream.
La seconde moitié couvre le Mass and Individual Moving avec des projets tels que Radioactief Monument (1976), Disaster Simulation/Fade Away (1977), Kringloop (1978), Ecce Homo (1979) ou encore Pionneer (1981).
A l’entrée, les visiteurs peuvent visionner « Mass Moving, des Insoumis dans l’Art », un film réalisé en 2007 par Françoise Levie. On y voit principalement mon père et la seconde personnalité forte à la tête du collectif : Bernard Delville.
Au centre, des slogans poétiques d’auteurs anversois imprimés grâce à Pionneer (1981), une machine à imprimer fonctionnant à l’énergie solaire et inaugurée le vendredi 8 mai 1981 au centre culturel international ICC d’Anvers.
Surplombant le tout, une œuvre de mon frère : « Vader, 2016, Quatre quarts ». De là-haut, notre père observe.
La rétrospective Mass (an Individual) Moving, ce fut également pour moi la chance de rencontrer Lotte Beckwé, historienne de l’art et curatrice de l’exposition. Une toute jeune femme qui m’a touchée par son humilité, sa simplicité, sa curiosité, son intelligence et son implication. Elle s’autoproclame « la curatrice invisible » alors qu’elle est tout sauf invisible.
Ce n’est pas depuis son bureau que Lotte a conçu Mass (an Individual) Moving. Pendant des mois, elle est partie à la rencontre des personnes impliquées, de près ou de loin, dans ces mouvements. Elle a posé des questions et, qualité rare, elle a écouté les réponses.
Son angle d’approche est résolument moderne, car centré sur l’urgence actuelle des problématiques sociétales soulevées à l’époque par le Mass Moving et le Mass and Individual Moving. Elle aime leur créativité engagée et utopiste. Et le fait qu’ils pensaient grand ! Aujourd’hui, ajoute-t-elle, la technologie rétrécit tout.
La rétrospective Mass (an Individual) Moving ne parle pas du Mecano-Art, un mouvement ultérieur dont mon père a été l’initiateur et qui s’inscrit dans la lignée du Mass Moving et du Mass and Individual Moving. Un jour viendra… Je lui souhaite. Pas parce que c’est mon père. Mais parce qu’il a voué sa vie à l’art. Et que ce serait un juste retour des choses (…)
Mass (an Individual) Moving
13.05 – 03.09.2023
M KHA, Museum van Hedendaagse Kunst Antwerpen
muhka.be/en/programme/detail/1580-mass-and-individual-moving
Pour plus de détails sur les oeuvres : http://ensembles.mhka.be/ & https://ensembles.org/events/mass-and-individual-moving
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